Accueil Actualités Jean-Luc Revéreault, chef de la Représentation de la Banque européenne d’investissement (BEI) en Tunisie et en Algérie, à La Presse : « La BEI est prête à accompagner la Tunisie dans la mise en œuvre d’un plan de relance de l’investissement »

Jean-Luc Revéreault, chef de la Représentation de la Banque européenne d’investissement (BEI) en Tunisie et en Algérie, à La Presse : « La BEI est prête à accompagner la Tunisie dans la mise en œuvre d’un plan de relance de l’investissement »

« En Tunisie, nous finançons des projets qui ont un impact direct sur le quotidien des Tunisiens et qui sont générateurs de croissance. Notre action s’inscrit autour de trois axes : le financement d’infrastructures sociales, dans les secteurs tels que l’éducation, la santé, le transport et l’aménagement urbain ; le financement de la transition énergétique et de l’action climatique, et nous travaillons avec nos partenaires tunisiens à la mise à niveau des infrastructures dans le secteur de l’énergie, de l’eau, de l’assainissement ou des déchets ; et, enfin, le financement de l’initiative privée, depuis l’aide aux micro-entrepreneurs jusqu’au financement de certains grands groupes tunisiens ».

Il est indéniable que la Tunisie fait face à d’énormes problèmes économiques et financiers. Comment la BEI suit-elle la situation ?

Nous suivons, bien évidemment, la situation de près car, avec plus de 6 milliards de dinars d’encours, la BEI est l’un des bailleurs de fonds les plus importants du pays. Certains chiffres de l’économie sont inquiétants, notamment le taux d’endettement du pays et, plus précisément, le taux de l’endettement consacré à des dépenses autres que l’investissement. Le fait que le budget de l’Etat ne comprenne qu’un montant limité pour les investissements, couplé à un taux d’épargne en nette diminution, réduit la capacité de la Tunisie à se projeter vers l’avenir et à mettre en place un véritable plan de relance de l’économie. La Tunisie a besoin d’investissement pour créer de la richesse et de l’emploi et la BEI, banque de l’Union européenne, est prête à accompagner la Tunisie à mettre en œuvre un plan de relance de l’investissement.

Justement, la Tunisie est en train de négocier une nouvelle ligne de crédit avec le FMI. Selon vous, allons-nous aboutir à quelque chose ?

Les financements du FMI sont nécessaires pour remettre les finances du pays à flot, mais ils ne sont pas suffisants. Par ailleurs, chacun sait que ce financement du FMI va être lié à la mise en place de certaines conditions, dont la mise en œuvre prendra du temps. Je fais référence aux réformes présentées par le gouvernement tunisien au FMI, notamment en ce qui concerne les entreprises publiques, la réduction de la masse salariale, la refonte du système de compensation…

Il faut que tout cela soit accompagné d’une feuille de route pour fixer les secteurs d’investissement que la Tunisie veut promouvoir et cela fait défaut dans le document envoyé au FMI. Il manque une vision pour sortir le pays de la difficile situation dans laquelle il se trouve.

Vous savez certainement que la question des conditions posées par les bailleurs de fonds est hautement sensible en Tunisie. Quelle est, selon vous, la différence entre conditions posées et ingérence dans les affaires internes du pays ?

L’ingérence serait de vouloir dicter sa conduite à un pays souverain afin de faire prévaloir ses propres intérêts. Poser des conditions, c’est autre chose : c’est du donnant-donnant et, à terme, du gagnant-gagnant. La BEI et les autres partenaires de la Tunisie font tout leur possible pour continuer d’accompagner le pays en toutes circonstances, avec des prêts, de l’assistance technique et de l’expertise, avec des dons et des subventions, mais ces différentes actions doivent porter leurs fruits : les projets financés doivent être réalisés et les réformes promises entreprises. La BEI mobilise des équipes en Tunisie comme nulle part ailleurs. Je rappelle souvent que la Tunisie est le plus gros bénéficiaire de financement de la BEI par habitant. Les conditionnalités que nous mettons en place dans nos conventions sont nécessaires pour atteindre les résultats convenus. Assortir le décaissement de fonds de conditions, ce n’est pas de l’ingérence et l’Etat reste souverain dans la façon de réaliser les conditions pour lesquelles il s’est engagé.

Venons-en à la BEI, quel bilan faites-vous de vos activités pour les dix dernières années post-révolution en Tunisie ?

Pour la BEI comme pour les autres bailleurs, c’est un bilan en demi-teinte. Entre 2011 et 2017, on a eu l’espoir et la volonté d’accompagner le pays, de moderniser la Tunisie et de la doter d’infrastructures de premier plan, afin de la positionner comme une plateforme entre l’Afrique vers l’Europe.

A partir de 2017, nous avons été confrontés à plusieurs difficultés, notamment l’incapacité de certains promoteurs à mettre en œuvre les projets financés, ce qui fait que le rythme des signatures et, surtout, du décaissement des prêts signés a ralenti.

En Tunisie, nous finançons des projets qui ont un impact direct sur le quotidien des Tunisiens et qui sont générateurs de croissance. Notre action s’inscrit autour de trois axes : le financement d’infrastructures sociales, dans les secteurs tels que l’éducation, la santé, le transport et l’aménagement urbain ; le financement de la transition énergétique et de l’action climatique et nous travaillons avec nos partenaires tunisiens à la mise à niveau des infrastructures dans le secteur de l’énergie, de l’eau, de l’assainissement ou des déchets; et, enfin, le financement de l’initiative privée, depuis l’aide aux micro-entrepreneurs jusqu’au financement de certains grands groupes tunisiens.

Depuis la révolution, la BEI a accordé des fonds allant jusqu’à sept milliards de dinars. Pouvez-vous actualiser ce chiffre ?

Le montant que vous citez est correct. Si on ajoute des opérations un peu plus anciennes, c’est-à-dire qui ont commencé avant 2011 et qui sont toujours en cours, on atteint les trois milliards d’euros.

Pour vous donner quelques exemples, nous avons cofinancé avec l’Union européenne et la Banque de développement allemande un vaste programme de rénovation et de construction de collèges et de lycées à travers tout le pays, programme qui va créer 36.000 nouvelles places en secondaire et significativement améliorer les conditions de travail des élèves et des enseignants. Nous finançons également, avec d’autres partenaires européens, le projet RFR qui devrait entrer en exploitation dans la deuxième moitié de l’année et améliorer les conditions de mobilité des habitants du Grand-Tunis. Nous avons récemment octroyé un prêt à la Sonede afin de renforcer les infrastructures de traitement de l’eau autour du Grand-Tunis.

Au niveau de la gestion de ces fonds êtes-vous satisfait ?

Le problème qui se pose, pour nous comme pour les autres bailleurs, est la lenteur dans la mise en œuvre des projets. Du fait du retard pris dans l’exécution de ces projets, certains prêts anciens ne sont toujours pas utilisés. Il faut également reconnaître que certains prêts ont été signés, alors que les projets n’étaient pas matures.Il existe aussi un manque de capacité chez certains promoteurs pour mettre en œuvre les projets, tout en respectant les standards des bailleurs. Nous avons, par exemple, des exigences  très strictes au niveau du respect des normes sociales, notamment pour indemniser les personnes affectées par les projets que nous finançons, ou environnementales.

Pour vous donner un chiffre, sur les trois milliards d’euros de prêt signé par la BEI, un milliard n’est pas encore décaissé. A l’échelle de tous les bailleurs présents en Tunisie, ce sont cinq milliards d’euros qui attendent toujours leur décaissement pour les mêmes raisons. Il est vraiment nécessaire de mettre tous les moyens disponibles pour renforcer les équipes chargées de la mise en œuvre des projets, ce qui permettra d’accélérer la cadence de décaissement des fonds et, in fine, améliorer le quotidien des citoyens.

La priorité, pour moi, c’est que ce milliard d’euros soit décaissé le plus rapidement possible.

Qu’en-est-il de l’instabilité politique ?

Changer de ministres plusieurs fois par an, ce n’est évidemment pas favorable à l’avancée de nos projets. Lorsqu’on parle d’investissements dont la durée de vie est de plusieurs dizaines d’années, pour que le succès soit au rendez-vous, il faut une vision stratégique à long terme et un engagement continu de l’administration pour mettre en œuvre cette vision. L’instabilité politique ne favorise ni l’un ni l’autre.  Je constate que certains de nos projets avancent car ils bénéficient du soutien du ministre responsable, mais ces mêmes projets peuvent subir un coup d’arrêt si, après un remaniement, le nouveau ministre souhaite remettre en cause ce qu’a fait son prédécesseur.

Existe-t-il de nouveaux financements au profit de la Tunisie ?

Absolument. Ce sont des financements de projets sur lesquels nous avons travaillé au cours des dernières années. Nous prévoyons, par exemple, d’octroyer un financement au ministère de l’Education pour la rénovation et la construction d’écoles primaires à travers tout le pays, comme nous l’avons fait ces dernières années pour les établissements du secondaire. Nous négocions, également, un financement avec la Transtu pour la modernisation de la ligne TGM. Nous sommes, également, en discussion avec la Steg pour le renforcement du réseau de transport et de distribution de l’électricité.

Encore une fois, ce que nous cherchons à travers nos financements, c’est avoir un impact sur la vie quotidienne des Tunisiens, réduire l’impact de notre mode de vie sur l’environnement et soutenir les investissements qui sont créateurs d’emplois et de croissance.

La question du suivi et de l’accompagnement de vos projets pose-t-elle problème en Tunisie ?

En effet, c’est comme je l’ai dit, une problématique que je regarde avec beaucoup d’attention. Nous avons fait un exercice de diagnostic assez précis de la situation pour identifier les besoins d’accompagnement et avons  mis en place une équipe d’experts qui assiste les promoteurs publics à remplir les conditions de décaissement. Cette équipe est composée d’experts dans les domaines sociaux, environnementaux et de passation de marchés publics et elle travaille au quotidien avec les différents promoteurs pour les aider à appliquer les standards de la BEI.

Cette année, vous avez décidé de changer d’approche, vous devenez la banque du climat. Cela aura-t-il un impact sur vos activités en Tunisie ?

C’est, en effet, une décision assez audacieuse et avant-gardiste qui a été prise par le conseil d’administration de la BEI fin 2020. La Banque a décidé d’arrêter le financement de projets dans le secteur des énergies fossiles et de ne soutenir que des projets qui sont en ligne avec les objectifs de l’Accord de Paris. Cela signifie que la BEI va réorienter une partie importante de son activité vers l’action climatique et la protection de l’environnement. En Tunisie, nous sommes donc prêts à mobiliser toutes les ressources nécessaires pour soutenir le développement des énergies renouvelables, améliorer l’efficacité énergétique des bâtiments et de l’éclairage publics, ou encore développer les moyens de transport à faible émission de CO2. Nous venons, par exemple, de lancer une étude avec la Sncft pour examiner les modes alternatifs de propulsion des trains sur certaines lignes, par exemple au moyen de l’hydrogène vert.

Comment évaluez-vous le climat d’investissement en Tunisie ?

Je crois que pour améliorer le climat d’investissement et attirer les investisseurs, il faut continuer à mettre en place un cadre juridique et fiscal incitatif, clair et stable et supprimer les barrières à l’entrée qui existent encore dans trop de secteurs. L’allégement du contrôle des changes est également nécessaire. Ce qui est fait actuellement pour soutenir les start-up dans le cadre du Start Up Act est extrêmement positif et prometteur. Avec un cadre plus adapté aux besoins des investisseurs, la Tunisie pourrait devenir une place financière régionale, notamment pour les fonds d’investissement intervenant en Afrique. Il y a d’excellentes équipes de gestion en Tunisie et il est regrettable de ne pas disposer du cadre juridique et fiscal qui permettrait de développer cette activité, créatrice d’emplois qualifiés.  

Quels sont les secteurs prioritaires pour vous en Tunisie ?

Nous souhaitons continuer à aider le pays à faire face aux défis qui se présenteront dans les années qui viennent et travaillons actuellement avec nos collègues de la Commission européenne à la mise en place d’un plan stratégique qui tiendra évidemment compte des priorités qui seront définies par le gouvernement.

Nous continuerons de financer les projets qui ont un impact direct sur la vie des Tunisiens. La santé, l’éducation, le logement, l’accès à l’eau, les transports urbains resteront au cœur de notre action. La transition énergétique et écologique sera également une priorité pour les années qui viennent. Enfin, nous continuerons d’aider les entrepreneurs à investir, innover, générer de la valeur et créer des emplois. Le potentiel de la Tunisie réside, à mon avis, dans le dynamisme et la créativité de sa jeunesse. La BEI, banque de l’Union européenne, est prête à jouer pleinement son rôle pour libérer ce potentiel.

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